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14 avril 2015

En mémoire d'Alexis et Matthieu - Les jeunes, l'avenir loin des départementales

Chers amis crollois et de partout qui avez témoigné par votre présence votre affection, votre émotion … et tous ces sentiments indicibles que l’on ressent face au vide laissé par un être aimé que l’on espérait plein d’avenir.

A vous qui partagez le goût de la politique, au sens de l’engagement dans des communautés humaines, avec comme point de rassemblement l’ambition de se mettre au service des autres,

Avec vous, en pensées reconnaissantes pour vos gestes apaisants durant notre deuil,

Je viens d’écrire un épilogue à un texte récent, à peine retouché, inspiré dans un moment de solitude par des réflexions confuses où j’associais le commentaire électoral, mes enfants, leurs copains. 

Douloureusement, avec gratitude,

Francis

Orpin - Mercantour 2013.JPG


Lyon, 1er avril 2015 - Les jeunes, l’avenir loin des départementales

Les grèves sont toujours bienvenues. Grève de train pour ralentir, lire et nouer des conversations banales avec des inconnus de galère. Découvrir le covoiturage. S’obliger à voir qu’une réunion annulée s’oublie aussi vite qu’un mauvais sandwich ou un film médiocre.

Ces jours ci, nous avons grève de Radio France, la plus belle des radios, qui sait comme nulle autre cultiver ensemble la compagnie paisible des bavards et l’assurance éhontée des sachants mêlée à des touches pimentées qui maintiennent l’addiction.

Me voilà libéré du troupeau et de l’orchestre. Patrick, Thomas, Pascale, Alain … vedettes hertziennes, vous rongez votre frein, c’est bien !

Silence. Silence radiophonique. Silence symphonique.

Cette soirée d’élection du 29 mars, je vous la dédie. Nous fûmes privés de vos commentaires. Sevrage sévère. Mais je survis.

Livré à lui-même, mon cerveau reprend son rythme naturel, comme une lenteur reptilienne, avec les yeux qui s’ouvrent vers des horizons si proches qu’on ne les voyait plus. Je croule sous les journaux et les news.

Sur le réseau social, les post s’enchaînent sur l’abstention, les cantons, le front.

Sur le réseau hertzien, en raison d’un appel à la grève, les programmes habituels ne peuvent pas être diffusés. C’est le moment, il est temps de changer de logiciel. J’en ris aussitôt ! Voilà la radio gréviste qui me souffle cette expression que j’abhorre (usuellement).

Enfin le changement ! Il suffit de le voir. Il est si proche. Voici mes enfants et leurs amis. Ils ne vivent, ils ne pensent pas comme nous.

Saisonniers, précaires, apprentis, alternants, pisteur, charpentier. Quel parti les connaît ?

Bohèmes, ils ne sont bourgeois que par leur ascendance.

Ni résignés, ni rebelles. Ils n’ont pas besoin de partir du quotidien, ils y sont.

Comment dire … ce n’est pas qu’ils ignorent ces élections … ils ont l’éducation … mais … tout cela est tellement fictif, irréel. Ils le disent gentiment. Ce monde leur est étranger.

Pour eux, seul un entomologiste peut distinguer l’abstention et le vote blanc.

Comme un rite de passage, ils ont voté. En 2012. Voir comment c’est. Ne pas recommencer.

Ils ne sont pas Charlie. Autour d’eux, personne ne l’est. C’est quoi ce truc, faire un gros paquet pour se dire qu’on fait société ?!

Avançant jour après jour, ils n’ont pas besoin de revendiquer pour exister, ni de concepts fraternels pour vivre l’amitié.

Si proches et déjà détachés, comment pouvons-nous tant les ignorer ?

Vont-ils vieillir ? Rancir ? Où est-ce le vermoulu qui va céder comme un arbre mort dans un coup de vent ?

Qui peut croire encore que nos institutions sont l’avenir ? Quelle folie de s’agiter autant pour les maintenir en activité ! Le bon Zadig saurait quoi faire. Leur jardin, c’est la montagne.

Jouez comme vous voulez, disent-ils, sans le dire, avec vos candidats et vos programmes. Nous, on se débrouille.

Mais, demain, un jour, nous prendrons le manche. Simplement. Pour reprendre là où vous l’avez laissé. Il y aura du boulot. Il faudra tout changer. On s’y mettra, c’est tout. Pas besoin de se prendre le chou maintenant comme des cons avec des cons, y a encore de la neige, y a du soleil.

 Crolles, le 8 avril -  Au moment même où j’écrivais ces lignes, Alexis et Matthieu nous avaient déjà quittés, mais je l’ignorai encore. Croquent la vie quelques années … et puis s’en vont.

Puisse leur amitié, leur générosité et leur vitalité nous servir de guide !

A nous, survivants, citoyens installés qui tenons les rênes du système, d’œuvrer pour une société accueillante à toutes les générations, où chacun pourrait éprouver, à son rythme, des moments de liberté et de fraternité.

A nous, adultes présumés réfléchis, d’être à l’écoute des jeunes sans attendre qu’ils fréquentent les isoloirs, remplissent les urnes … ou se rassemblent, solidaires, pour se consoler les uns les autres et exprimer leur compassion aux parents perdus.

A nous, cocooners des réseaux, de sortir de notre réserve pour que la jeunesse ne soit pas seulement un passage fragile, dangereux, mais aussi un état d’esprit collectif.

A nous, parents éplorés, d’être reconnaissants à nos jeunes qui nous portent.

Francis Odier

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