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16 mars 2013

La digue la digue - Introduction

Ce n’est pas une histoire, mais une épopée géologique et humaine. Depuis des millénaires, les montagnes de Chartreuse et les falaises du Grésivaudan s’écroulent, jusqu’à donner son nom au village de Crolles. Les blocs débaroulent dans la vallée.

Pour se protéger de la nature et conquérir de nouveaux territoires, les villageois construisent des digues. Digue du coteau, digue du pied de Crolles, digue de la Vachère, digue du Brocey … A l’abri des ouvrages protecteurs, les lotissements poussent plus vite que les vignes d’antan.

A l’aune du 21ème siècle, le moment est venu d’achever l’édifice. Le chainon manquant, c’est la digue du Fragnès, un fin ruban de 1160 m qui déjà est esquissé sur les plans d’urbanisme et anticipé dans le Plan de Prévention des Risques. La commune lance une enquête publique, obtient une Déclaration d’Utilité Publique, achète à l’amiable, une à une, les parcelles qui couvrent l’emprise de l’ouvrage projeté, exproprie un propriétaire récalcitrant.

Tout est prêt. Il est temps. Le chantier n’a que trop tardé

 Bannière digue.jpg


 

Un élu en a témoigné souvent, au conseil, en commission cadre de vie : les gens du Fragnès ont peur. La nuit, ils entendent les pierres tomber. Le maire est catégorique : il faut protéger la population. C’est son devoir. L’adjointe a défendu le dossier. Il est solide. Elle a confiance. Les pneus arrêtent les blocs en mouvement mais ne brulent pas. La conseillère écologiste insiste. Pour la sécurité, il faut construire (la digue). Tous (ou presque) votent pour, non pas une ou deux fois, mais à dix ou quinze reprises, pour lancer les procédures et acheter les terrains.

Durant toutes ces années, dans le quartier du Fragnès, loin des bisbilles municipales, les villageois coulent des jours heureux, insouciants, inconscients des dangers gravitaires qui les menacent. Les plus fortunés, et ils ne sont pas rares, rénovent ou agrandissent leurs masures, belles maisons de pierre, granges magnifiques où les appartements lumineux remplacent peu à peu les greniers à foin. Certains reçoivent l’adjoint à l’urbanisme et tirent des plans sous la digue, un petit immeuble ici, quelques maisons dans le pré, les clients ne manqueront pas.

Mais quelques-uns, aussi, s’inquiètent discrètement des rumeurs de bulldozer, des sources qui pourraient disparaître, de ces prairies paisibles que les bêtes pourraient avoir à abandonner.

C’est alors que l’affaire prend une autre tournure. Près de l’Eglise et du Château, siège une association environnementaliste, véritable trait d’union entre les habitants et leur cadre de vie. Le juge est saisi, non d’effroi face aux blocs branlants, mais sur l’illégalité de deux décisions préfectorales : la déclaration d’utilité publique, le plan de prévention des risques.

Une longue bataille s’engage. C’est ce combat, peuplé de dossiers, que je vais vous conter.

L’objet du litige est simple. Dans le Grésivaudan, la terre plate ou peu pentue est rare, la terre plate ou peu pentue est chère. Ceux qui ont des terrains au pied des coteaux veulent les vendre pour les construire, ceux qui ont des maisons sans terrain veulent rester tranquilles, les agriculteurs veulent garder des pâturages bien utiles au printemps, les promeneurs veulent se promener dans un paysage avec des espaces ouverts (ce qui devient rare depuis la déprise agricole et l’enfrichement des coteaux), les botanistes sont attachés aux pelouses sèches et à la biodiversité associée.

Il y a bien des blocs qui tombent de temps en temps, alors une digue, ce n’est pas idiot. D’ailleurs, les crollois du Brocey sont bien contents, dans leur lotissement, à l’abri des pierres. Mais, honnêtement, dans le vieux quartier du Fragnès, où il y a des maisons plus que centenaires, le risque qu’un bloc chute et fasse une victime est infime. Sinon, ça se saurait !

La commune a son idée, il faut une digue. Le maire a décidé : on continue comme avant, comme au 20ème siècle. Trait d’Union a une autre idée : on réfléchit et on discute pour faire au plus simple et ne protéger que les maisons qui en ont vraiment besoin. Mais le maire se dit : pourquoi discuter ? C’est moi l’élu.

Donc, pas de discussion. Mais le président de Trait d’Union est têtu. Alors, rendez-vous au tribunal.

Voilà. Le juge a jugé, la Déclaration d'Utilité Publique (DUP) est annulée, le Plan de Prévention des Risques (PPR) est validé. Le juge grenoblois a été courageux, car la décision d'annuler une déclaration d'utilité en première instance est très rare, surtout lorsqu'elle se fonde sur un motif environnemental, comme ici. Et c'est le juge qui le dit - avec ses mots de juge : l'information produite ne permettait pas d'établir le bilan de l'opération, en tenant compte des effets du projet sur les éco systèmes fragiles.

Mais, il existe des droits de recours, alors un autre juge va rejuger. Dans un ou deux ans.

En attendant, nous, on cherche à comprendre. Pourquoi presque tout le monde à Crolles est d’accord pour construire la digue, alors que personne n’est vraiment inquiet en se promenant dans les coteaux ? Est-ce que c’est dangereux d’habiter au pied des coteaux ? Que dit la loi ? Qu’a dit le préfet ? Est-ce qu’il y a quelque part des gens compétents sur ces affaires de digue ? Qu’en pensent-ils ? Pourquoi Trait d’Union s’obstine à attaquer la digue ? Qui gagne quoi dans ce schmilblick ?

Pour connaître la fin de l’histoire, il faudra patienter. Une chose est sûre, cependant. Le destin des falaises est de finir ruinées, éboulis, sédiments grossiers, sol à vigne. Tôt ou tard, le maire aura raison. Des blocs tomberont, du ciel, de l’urgonien ou d’autres strates calcaires, et feront périr des citoyens innocents, comme au Mont Granier en 1248. En attendant ce jour improbable, nous avons quelques heures devant nous, ou quelques siècles ou millénaires, nul ne sait, pour réfléchir à ce que nous enseigne la digue.

Une approche pluridisciplinaire s’impose pour bien apprécier ce que les ingénieurs nomment joliment merlon en technique Pneutex. Il s’agit de prévention des risques de chute de blocs, donc de géologie, de mécanique, de trajectographie, de simulation informatique. Pour éviter la confusion mentale et les pièges de la propagande, on ne pourra faire l’économie d’une clarification conceptuelle. L’aléa, le danger, la vulnérabilité, l’enjeu, le risque … l’incertitude, la prévention, la précaution … l’impact, l’alternative … ce seront nos mots pour penser par nous-mêmes, sans accepter béatement ce que d’autres ont conçu au siècle dernier.

Le maire parle de protection civile et de compensation des dégats environnementaux.  Trait d'Union dit qu'il s'agit surtout d'urbanisme, d'agriculture et que mieux vaut éviter de détruire la biodiversité. Nous voilà ainsi plongé dans les arcanes de la politique locale, avec ses manœuvres et ses non-dits, ses subtilités qui échappent au profane, cet intérêt général si difficile à cerner.

La République est un état de droit. Alors, ce qui n’a été débattu sérieusement ni au conseil municipal, ni avec la population, devient une controverse devant les tribunaux. Et là, par la sagesse de nos lois, la procédure est essentiellement écrite. Les protagonistes s’échangent enfin des arguments. L’esquive et la mauvaise foi deviennent inopérantes.

La digue est d’intérêt pédagogique majeur. C’est un cas d’école, un séminaire grandeur nature pour éclairer la vie de nos institutions et toucher du doigt ce qui a toutes les caractéristiques d’un égarement collectif. Inutile d’engager les terrassements et la construction des parements en pneus, la digue est déjà désormais d’utilité publique.

Ne croyez pas que cette affaire de digue est réservée aux professionnels, à l’adjointe aux risques naturels ou à quelques militants cinglés. En fait, un enfant de 10 ans comprendrait ça. Allez me chercher un enfant de 10 ans.

Comment boucler cette introduction ? Je ne trouve pas de chute. Ce sera le premier sujet à creuser. Il faut commencer par une approche technique des chutes de blocs.

Mais avant tout, soyons terre à terre. Rendez-vous sur le terrain au pied des coteaux et des falaises de Crolles.

Francis Odier, mars 2013

Ce dossier "digue" est à suivre. De nombreux articles sont en préparation sur l'évaluation des risques, le positionnement de la digue, les enjeux environnementaux, le cadre juridique ...

La contribution que j'avais rédigée pour la commission Cadre de Vie :  A propos de la prévention des risques - contribution FO.pdf

Les jugements du Tribunal Administratif de Grenoble :

 TA Grenoble 28-1-13 0904338 DUP digues Crolles EIP-effet eau- notion programme.pdf

TA Grenoble 28-1-13 0904339 PPR Crolles 2001-42-CE (fluo).pdf

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