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03 novembre 2013

Le rire des contrebandiers

29 novembre 2012, un bel éboulement se produit depuis les falaises du Luisset, dans le secteur du Tambour. Le maire prend un arrêté d’interdiction d’accès au sentier du facteur qui est directement sous la zone d’éboulement et qui a été atteint par plusieurs blocs. Un an plus tard, les blocs n’ont pas bougé d’un pouce depuis le premier jour, l’arrêté est maintenu.

Je fréquente régulièrement ce sentier dit "du facteur", pour m’aérer l’esprit, étudier la géodynamique locale et l’urbanisation de la vallée. C’est un excellent site d’observation sur l’unité urbaine de Crolles – Bernin. Chemin faisant, je croise souvent des promeneurs, seuls ou en famille. Tous semblent insouciants face au risque. Cependant, ils connaissent le danger et bravent tranquillement l’interdiction d’accès. 

Aujourd’hui encore, j’en ai fait l’expérience. 

Chutes de blocs 2010 - 2013.jpg


Petit dialogue entre randonneurs, après les salutations d’usage d’honnêtes marcheurs qui se croisent dans un lieu magique, dans l’euphorie d’une lumière d’automne qui vous remplit d’allégresse et vous donne envie d’embrasser la terre entière :

-          « Vous savez que le sentier est interdit ? »

-          « Oui, c’est pour ça qu’on est là ! »

Et nous voilà riant de bon cœur. Rires complices qui s’élèvent au-dessus de la plaine et se moquent de l’autorité et de ses arrêtés. Rires de contrebandiers qui se gaussent des douaniers si nigauds de nature.

Et cette fraternité du rire, c’est la République moquée.

Mon nouvel ami ne s’arrête pas en si bon chemin : « Oh, ils ont raison ». Oups, l’affaire tourne mal. Aurai-je affaire à un partisan de l’ordre et de la sécurité ? « Ils se couvrent, ils font ça pour se couvrir ».

Et c’est la République méprisée.

Le maire n’est pas perçu dans toute sa grandeur, agissant avec discernement pour l’intérêt général et la protection de la population. Au contraire, on le voit mesquin et pétochard, s’abritant sous son parapluie, brandissant cet arrêté futile tel Agnan, dans le Petit Nicolas, qui écartait avec ses lunettes ses camarades turbulents. 

Blocs et rocs, vous qui choyez si naturellement,

roulez avec fracas dans les bois et les prés,

riez de ces arrêtés, jeux de dupes, cache-misère de l’ignorance.

A l’abri dans sa masure, le promoteur déjà mesure son gain.

La DUP élève son bilan.

Malgré ce soleil à faire danser les sénateurs somnolant, l’obscurantisme sécuritaire glace la plaine et ses habitants.

L’idéal ultime est le parapluie, dégoulinant de sirop aigre-doux.

La grandeur est dissoute, seul l’arrêté surnage …

… et demain sera emporté par les flots bruns de l’oppression.

Francis Odier, 28 octobre 2013

 

Le texte complet - incluant une revue de presse sur l'éboulement : Le rire des contrebandiers.pdf

Notes et compléments

Un arrêté légitime … en novembre 2012

Dans le cadre de ses pouvoirs de police, le maire a la responsabilité d’assurer la sécurité de la population – comme cela est rappelé dans les considérants de l’arrêté du 29 novembre 2012. L’arrêté, pris dans l’urgence juste après l’événement, est donc pleinement légal et légitime car il est possible qu’un éboulement en cache un autre.

Mon désaccord porte sur la prolongation durable de l’arrêté, presque un an, alors que l’observation de terrain montre que la situation est correctement stabilisée. D’ailleurs, en janvier 2013, le journal municipal mentionnait « l’interdiction d’accès au site jusqu’à la fin de la période hivernale ».

Dans le cadre de ses missions de sécurité publique, le maire a aussi des devoirs d’information de la population - et là nous avons une défaillance car la commune n’informe pas correctement sur la réalité du risque.

Plutôt qu’un arrêté inappliqué, ce qui dévalorise la parole de l’autorité publique, mieux vaudrait faire preuve de pédagogie en informant sur les dangers et les risques, par exemple via des panneaux d’affichage bien documentés installés aux extrémités du sentier du facteur.

* *

N’est-il pas excessif et caricatural de parler d’oppression ?  Certes, le mot est fort et je conviens qu’il puisse heurter.

Si on raisonne à courte vue et sur ce seul arrêté (pensée cloisonnée), on voit une simple mesure temporaire de police qui protège, écorne minusculement la liberté, s’inscrit dans la politique de bien vivre ensemble et ne mérite en rien cette allusion détestable à une dérive vers l’oppression.

Mais si on prend de la hauteur, et le sentier du facteur nous y invite, alors l’évolution de notre société se révèle autrement plus inquiétante. Je ne suis pas le premier à alerter sur les effets délétères de la recherche folle du risque zéro, sur la dissolution des libertés individuelles sous des amas de normes prétendument techniques, dans des flots de données captés et stockés par des géants du marketing ou de la surveillance. Je me souviens d’un article déjà ancien d’Alex Turk, président de la CNIL (Commission Nationale Informatique et Libertés). Il évoquait ce fameux syndrome de la grenouille. La pauvre bête sursaute et se sauve si on la plonge dans un bocal d’eau chaude, mais elle meurt sans rien comprendre si l’eau tiédit puis s’échauffe peu à peu.

Restons dans les coteaux de Crolles. On peut voir la phobie sécuritaire chaque année, en septembre, quand les Amis de la Course à Pied organisent le cross des coteaux … et exigent un certificat médical, sésame indispensable pour courir 8 ou 15 km, selon le tracé choisi.

Ce certificat banal et cet arrêté tout autant bancal sont cousins. Ils sont le symptôme d’une société gouvernée par la peur, comme aux temps ténébreux où les peuples supportaient l’oppression de leurs chefs en échange d’une illusion de sécurité.

* *

J’évoque la Déclaration d’Utilité Publique (DUP) sollicitée et obtenue par la commune pour construire une digue dans le secteur du Fragnès. Il s’agit d’un projet contesté par l’association Trait d’Union – cf différents articles dans lecrollois.fr. Un jugement récent du tribunal administratif a d’ailleurs annulé cette DUP.

En toute rigueur topographique, l’éboulement du 29 novembre 2012 n’a rien à voir avec le projet de digue du Fragnès car la zone d’éboulement ne menace pas les habitations. On peut d’ailleurs se référer à l’étude SAGE, « Etude trajectographique – Dimensionnement d’une digue de protection contre les chutes de blocs », février 2002.

Extrait de l’étude SAGE – page 5 : « L’extrémité Sud de la falaise Tithonique concerne l’école d’escalade de Saint-Pancrasse. Des instabilités majeures ont été mises en évidence par le bureau d’étude SIMECSOL en mars 1997 (…) : un éperon de 20.000 m3 (rocher du Tambour) (…) Il présente une base amincie, marquée par une fissuration latérale. Les blocs après fractionnement sont estimés à 200 m3 maximum. Compte-tenu de la topographie du site, le rocher du Tambour ne concerne pas le site de projet de digue. En cas de trajectoire, les blocs atteindraient le sentier du facteur et du torrent de Craponoz ».

Mais ces subtilités trajectographiques sont ignorées tant par l’opinion commune que par la municipalité lorsqu’elle évoque les risques de chutes de blocs et son projet de digue. Dans les faits, même si je déplore ces approximations, toute pierre qui roule dans les coteaux est enrôlée dans la bataille idéologique, médiatique et juridique menée par la municipalité pour mener à bien son projet théorique « de protection » … et son projet réels d’urbanisation – cf notre dossier sur la digue du Fragnès.

 

La difficile anticipation des chutes de blocs et de leurs trajectoires

L’éboulement du 29 novembre s’est arrêté assez vite, ce qui est souvent un motif d’étonnement pour les randonneurs que je croise mais qui s’explique bien par le relief et le boisement significatif dans le secteur du Tambour. D’où le fait que « les zones habitées sont situées à bonne distance de l’éboulement » (Le Dauphiné Libéré, 30 novembre 2012).

Le même constat d’arrêt assez rapide peut être fait pour l’éboulement du Pilier Sud, en octobre 2010, voir les photos ci-dessus. Alors que le terrain n’est pas boisé et que la pente est raide, l’éboulement est resté, pour l’essentiel, au-dessus des barres de rochers.

L’évaluation des risques de chutes et l’anticipation des trajectoires de blocs requièrent une approche quantitative, informatisée et prenant en compte la topographie – cf « Géomécanique des instabilités rocheuses, du déclenchement à l’ouvrage », sous la direction de Stéphane Lambert et François Nicot, Editions Lavoisier.

« La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion (…) L’opinion pense mal, elle ne pense pas, elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître » [Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique].

En ne voyant la digue que par son utilité supposée, on s’interdit de la connaître. 


Commentaires

3 Novembre 2013 15h30? et une petite giclée de blocs, a droite de la belle de 2012 ,depuis un petit surplomb triangulaire qui s'agrandit.....du bruit, de la fumée et quelques blocounets qui s'enfuient de la paroi vers ...la liberté!!Olé

Écrit par : Daniel COLIN | 04 novembre 2013

Je réagis a vote article concernant les amis de la course a pied et le certificat medical. Ce n'est pas l'acp qui demande un certificat medical mais les instances au dessus, sans quoi les courses ne pourraient pas avoir lieu. Malheureusement avec tout l'entrain de personnes de bonnes volontés, on sait qu'on ne peut pas faire ce que l'on veut dans ce pays gangrene............par les politiciens et la finance............

Nadia Bouksara

Écrit par : vallee | 27 novembre 2013

C'est quoi au juste votre proposition concrête ? qu'il n'y ait pas d'interdiction du maire ? et lorsque le pépin arrive vous direz quoi ? que des travaux auraient du sécuriser…? jusqu'à quel coût ?
En effet, beaucoup d'entre nous, en France, souhaitent le risque zéro; d'autres ne tiennent aucun compte des avertissements (exemple en montagne ou sur le sentier du facteur…).
D'accord pour cet exercice très concrêt de liberté ! mais à deux conditions, qui ne sont pas celles existantes: pas de procès à la collectivité qui n'a pas su prévoir le tracé, le jour, l'heure de l'éboulement ou de l'avalanche, et si secours il y a, les secourus assûment le coût du secours.

Qu'en dites-vous ?

Connaissanr la vallée depuis longtemps et même depuis toujours (olala! j'ai 73 ans bientôt), j'ai le vif souvenir des éboulements du début des années 50 dont quelques beaux rochers sont encore au pied de Crolles et j'ai regretté de ne pas être là pour celui d'avril 13, j'aurais aimé comparé…le bruit, le frisson etc… facile, là où j'habite je ne crains rien coté rochers.
Par contre, j'ai des amis au Fragnier et là, je croise les doigts pour qu'ils ne connaissent pas "les graviers sur l'oreiller".

Dernier propos: écoutez la falaise (qu'elle est belle selon l'heure, l'humidité, les jeux d'ombre et de lumière), il n'y a pas de semaine et peut être de jours sans qu'elle nous envoie quelques messages caillouteux, discrètement sonores et invisibles le plus souvent, pour nous rappeler que c'est elle la Reine et nous, la piétaille.

Je vous souhaite un bon dimanche au chaud malgré la pluie froide.

Écrit par : Mireille Chamond | 02 février 2014

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