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04 août 2017

Accueil tout public

Au pays de Marianne, Liberté, Egalité, Fraternité, un bon critère pour apprécier la qualité d’un équipement public est la diversité des usagers et des usages. Lutter contre les discriminations et promouvoir la diversité ne sont que deux facettes du même objectif : l’hospitalité, la reconnaissance et l’accueil de l’autre dans toutes ses singularités. C’est pourquoi je me réjouis de voir les Gens du Voyage temporairement installés au Parc Paturel.

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Il faut dire que le lieu se prête admirablement à un séjour estival : de l’espace, de grandes prairies, des arbres encore jeunes mais qui offrent déjà des plages d’ombre, un paysage magnifique, des commerces à proximité, des occasions de rencontre avec les habitants du cru.

Certes, les Gens du Voyage n’ont pas été formellement invités. A l’inverse, ils ont reçu un ordre ou une demande d’expulsion. Mais la coutume est celle-ci : la République est tolérante… connaît les rapports de force et la vraie loi n’est pas la même pour tous. Christine Lagarde en sait quelque chose, elle qui fut exemptée de peine en raison de sa notoriété et des services rendus à l’économie mondiale.

Imaginez une seconde qu’il me prenne la fantaisie de planter ma tente sous un arbre du Parc Paturel. Très vite, alerté par les réseaux de veille qui traversent la commune, un policier municipal serait venu me faire les gros yeux, et la plus débutante des douces gendarmettes m’aurait fait décamper illico presto.

Pour nos hôtes de ce mois de juillet 2017, c’est différent. Ils ont la loi avec eux, la loi Besson du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage. Cette loi est si mal fagotée et appliquée avec tant de travers qu’elle légitime maints écarts au droit. Telle est la démocratie : l’aspiration à la justice résiste aux artifices de la légalité. Le Grésivaudan ne respecte pas ses obligations en matière d’aménagement d’aires d’accueil. L’aire de grand passage de Crolles est utilisée à mauvais escient, avec des séjours bien plus longs que les « quelques semaines » prévues par le législateur. Les emplacements retenus par les collectivités pour (soi-disant) accueillir les gens du voyage sont, bien souvent, notamment à Crolles, sur des sites exposés à toutes sortes de nuisances et dont personne ne veut.

A Saint-Ismier, une aire d’accueil a été aménagée au prix de nombreuses irrégularités, à proximité de la déchetterie. Elle est en fait destinée à favoriser la sédentarisation, ce qui nous ramène à une problématique de logement et ne devrait pas relever de la réglementation des gens du voyage, sauf à accepter un principe de discrimination à leur égard.

L’esprit de la loi est dévoyé, les collectivités territoriales ne respectent pas les exigences préfectorales issues de la loi, et on voudrait que les gens du voyage respectent les interdictions de séjourner qui leur sont faites sur des terrains disponibles et idéalement appropriés à l’habitat mobile et temporaire ?!

D’ailleurs, si la procédure d’expulsion se déroule à petite vitesse, si la commune et la communauté de communes mettent en place, vaille que vaille, les services minimums pour héberger les gens du voyage (convention provisoire, électricité, ramassage des poubelles…), c’est bien que les autorités sont gênées aux entournures et reconnaissent une forme de légitimité à cette occupation dite sauvage, mais qui apparaît très paisible au promeneur de passage.

En citoyen curieux de la chose publique, j’ai l’intuition, comme beaucoup de mes congénères, qu’il n’est pas très sain de conserver ainsi de tels écarts entre le droit et la réalité, entre le légal et le légitime. Est-il bien raisonnable de donner à voir, et même d’organiser, une situation irrégulière où la collectivité se déclare incapable de faire appliquer les règles qu’elle a édictées ? La réponse est dans la question.

J’ai déjà proposé des alternatives : corriger la loi Besson (principe de réalité), faire entrer les gens du voyage dans le droit commun (principe d’égalité et de simplicité réglementaire), les accueillir de manière décente dans des lieux adaptés (principe de fraternité) comme le Parc Paturel, le jardin du Château (dans la partie achetée par la commune et pourquoi pas de temps en temps sur les terrains privés du châtelain), la prairie du Fragnès, l’aérodrome du Versoud (que l’on pourrait fermer un mois par an), les parkings de Casino et de Carrefour (chaque grande surface étant mise à contribution deux ou trois semaines par an) ….

Dans cette affaire, il semble bien que le problème ait deux origines qui relèvent du non-dit : la société française (qui s’exprime via ses représentants) ne veut pas vraiment organiser l’accueil hospitalier des gens du voyage ; le principe sacro-saint de la propriété privée et du respect des avantages acquis interdit d’imaginer des solutions temporaires qui seraient infiniment plus favorables aux premiers intéressés et moins couteuses pour la collectivité.

Pour finir, je voudrais souligner les effets bénéfiques qui irrigueraient la société toute entière si nous décidions l’accueil non discriminant des gens du voyage. La confiance dans nos institutions, dans la justice, serait renforcée, et Dieu sait combien nous en avons besoin. Chacun, en tant que particulier, membre d’une association ou entrepreneur, pourrait jouir des nouvelles libertés ainsi créées : la liberté de camper au Parc Paturel ou d’y organiser un événement, à condition d’en demander l’autorisation à la mairie ayant en charge la régulation des usages et l’harmonieuse cohabitation des usagers.

La discrimination (fut-elle positive) des gens du voyage affaiblit la démocratie, alors que le partage des espaces la fait grandir.

Francis Odier, 24 juillet 2017

 

Nb : l'accueil non sollicité des gens du voyage n'est pas une spécialité crolloise. En cet été 2017, la presse nous signale des situations similaires au Touvet et à Brezins ... et je ne prétends pas faire un recensement exhaustif. La récurrence du sujet (il y a une loi votée en 2000 pour répondre à un problème qui était déjà ancien à l'époque) pose question sur le cadre réglementaire et, surtout, sur l'approche retenue. D'où la proposition d'abandonner la discrimination positive (emplacements réservés et dédiés) et de revenir au droit commun (utilisation occasionnelle de lieux publics partagés avec d'autres usagers).

 

Nos précédents articles sur l’accueil des gens du voyage :

Février 2015 - une aire d'accueil mal accueillie à Saint-Ismier

Aout 2009 - à propos de l'aire de grand passage de Crolles