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04 août 2013

La résistance au changement : une théorie inutile

La résistance au changement est-elle un obstacle au développement des transports en commun ?

Dans son numéro de juin 2013, l’ADTC - http://www.adtc-grenoble.org/ - publie un intéressant article sur « le choix modal et les freins au changement ». L’article cite les travaux de recherche d’une psychologue sociale qui établit que « le choix du mode de transport n’est pas en général rationnel (…) Un facteur déterminant est le poids de l’habitude et la difficulté à changer nos comportements ». Dès lors, pour favoriser les changements de comportement (surtout : faire reculer l’usage de la voiture individuelle), « la difficulté majeure est de lutter contre notre résistance au changement ».

Je voudrais contester ce point de vue, à partir d’une analyse de cette notion de résistance au changement, bien étudiée en psychologie et souvent mentionnée en management.

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Les prémisses du raisonnement sont établies scientifiquement et il n’y a pas lieu de les discuter, sauf à tomber dans l’obscurantisme. Il est vrai, certain, que nos comportements et nos modes de pensée sont déterminés par notre expérience, notre histoire, nos croyances. Il est vrai aussi que les changements de comportement ou d’idée ne sont ni spontanés, ni faciles. Spontanément, nous sommes plutôt conservateurs. L’idée de la résistance au changement vient de là. Dont acte.

Mais cela ne suffit pas pour en conclure que la « difficulté majeure » est de lutter contre cette fameuse résistance au changement.

L’argument qui se veut décisif est celui du manque de rationalité des voyageurs : « le choix du mode de transport n’est pas en général rationnel ». Mais de quelle rationalité parle-t-on ? « Par exemple, le coût souvent sous-évalué de l’usage de la voiture ou, pour une même durée de trajet, le temps en bus surévalué par rapport au même temps en voiture ».

Je propose, à l’inverse de la théorie de la résistance au changement, de privilégier l’hypothèse de la rationalité non seulement des voyageurs, mais de tout être humain qui n’est pas fou !

La rationalité est subjective.

La rationalité désigne la cohérence entre les actions et les buts. La rationalité pratique, celle qui nous intéresse ici, consiste à fonder son action sur des raisons, plus ou moins explicite, peu importe (on peut être rationnel sans être capable de bien verbaliser les raisons de ses choix).

Pour reprendre un exemple donné dans l’article, il est parfaitement rationnel de privilégier comme critère de décision la « qualité symbolique » du mode de transport. Pour celui qui privilégie son confort matériel, il peut être très rationnel de préférer un temps de trajet plus long et plus couteux en voiture à un temps de trajet plus court et bon marché en autobus avec un peu de marche à pied et quelques minutes d’attente à l’arrêt du bus.

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 La théorie de la résistance au changement considère implicitement que les experts qui préconisent le changement ont le privilège de la rationalité. Ce point de vue est scientifiquement fragile et démocratiquement condamnable.

Dans le cas des transports en commun, cette théorie conduit à des dispositions qui sont peu efficaces, en commençant par la communication et l’information sur les temps de trajet. Elles sont inefficaces car elles ignorent, et même elles méprisent, la rationalité du voyageur.

En revanche, la théorie de la rationalité conduit à proposer d’autres mesures, notamment des mesures contraignantes qui sont conçues pour que l’usager les intègre dans son raisonnement.

Prenons l’exemple de la sécurité routière. Le sujet est bien étudié depuis une quarantaine d’années. Il a été amplement démontré que les progrès ont été obtenus par des décisions collectives s’imposant aux conducteurs.

Je ne résiste pas à un autre exemple, qui n’a rien à voir, mais dans un domaine qui me tient à cœur. Le cumul des mandats. On pourrait croire que l’on fait face à la résistance au changement des élus et des électeurs (qui continuent à voter pour des cumulards car ils ne voient pas l’intérêt de changer de modèle). Force est de constater que cette analyse, aussi plausible soit-elle, est complètement stérile. L’histoire (en train de s’écrire) montre que le changement de comportement (l’arrêt du cumul) ne peut être obtenu que par un changement législatif qui s’impose à des élus et des électeurs parfaitement rationnels.

Revenons aux transports en commun. L’importance accordée à la résistance au changement occulte les raisons subjectives, mais essentielles, du choix des usagers, et écarte les dispositions impopulaires mais qui pourraient être utiles pour favoriser les transports en commun – de type augmentation du prix des carburants, voies réservées aux bus, péage urbain, gratuité inconditionnelle dans certaines zones … limitation sévère de la construction en secteur périurbain diffus etc.

Je termine par un témoignage professionnel. J’interviens comme consultant en relations sociales et conduite du changement. Vous n’imaginez pas le nombre de fois où je me suis heurté à des directions manipulatrices mettant sur le dos de la résistance au changement des oppositions syndicales parfaitement rationnelles du point de vue des intéressés. Illustration : une direction veut élargir la polyvalence. Elle argumente : « c’est bien pour l’entreprise qui va gagner en souplesse, c’est bien pour les salariés qui auront un travail plus intéressant. Je comprends ceux qui ne sont pas d’accord, c’est la résistance au changement ». Mais on peut avoir un point de vue contradictoire et rationnel de type « je n’ai pas envie de remettre en question mon expérience, de prendre le risque d’être en difficulté sur des tâches nouvelles alors qu’aujourd’hui je maîtrise correctement mon activité ».

Dernier exemple – en conclusion un zeste polémique, pour bien ouvrir le débat. Souvenez-vous de la campagne électorale sur le référendum pour le traité constitutionnel. N’avez-vous pas entendu parler de la résistance au changement des nonistes ?

La résistance au changement, qui est une vérité scientifique, est hélas, bien souvent, instrumentée ou détournée, volontairement ou non, pour devenir argument d’autorité.

Francis Odier, 3 aout 2013

 

Pour compléter

A lire : Comment agir en citoyen ? Entretien avec Vincent Descombes, Esprit, mars – avril 2011. L’essentiel de l’entretien porte sur la question de la rationalité pratique, à savoir celle qui débouche sur l’action. L’auteur défend le point de vue, auquel j’adhère, selon lequel « le raisonnement pratique est personnel, personne ne peut faire mon raisonnement à ma place, puisque personne ne peut prendre ma décision (comportementale) à ma place ». La rationalité pratique est aussi situationnelle, ce qui écarte toute prétention extérieure à dire ce qui est rationnel ou non.   Comment agir en citoyen.pdf

La littérature managériale sur la résistance au changement est pléthorique. Parmi les nombreuses pages disponibles sur le web, j’ai sélectionné un extrait qui peut aider à réfléchir sur « pourquoi le changement de mode transport n’est pas accepté avec enthousiasme » -

Dans la liste ci-dessous, extraite de http://www.quotientmanagement.com/18-trucs-pour-contrer-la-resistance-au-changement/ , j’ai évalué si les conditions sont réunies pour que les citoyens du Grésivaudan acceptent avec enthousiasme d’abandonner plus souvent leur voiture. Parmi les 18 conditions identifiées par quotientmanagement.com, j’en trouve au mieux six qui sont réunies. Les deux premiers critères renvoient directement à la question de la démocratie participative … dont nous sommes assez éloignés ici.

Conclusion : si on applique la théorie de la résistance au changement, le changement ne se produira pas. Il faut donc changer de théorie !

 Le changement est généralement accueilli avec enthousiasme lorsque :

 1.    nous sommes impliqués dans le modèle de changement : NON (la condition n'est pas réalisée pour la problématique du report vers les transports en commun en Grésivaudan)

 2.    nous sommes impliqués dans la conception du changement : NON

 3.    nous croyons que notre opinion et nos vues seront entendues, afin de contribuer à la nouvelle réalité : NON

 4.    nous profitons personnellement du changement : NON

 5.    l’organisation et l’ensemble des participants bénéficient du changement : peut-être

 6.    le changement est  effectué correctement : peut-être

 7.    nous n’aimons pas le statu quo actuel (attitude mentale qui fait apparaître quelque nouveauté comme apportant plus de risques que d’avantages possibles) : NON (nous préférons le statut quo actuel)

 8.    nous sommes confiants quant à notre compétence dans le nouveau contexte : OUI

 9.    nous avons confiance et respectons la personne ou le groupe, qui propose le changement : NON – cf la perte de confiance dans les politiques

 10.nous ne croyons pas que d’autres choses plus urgentes doivent être changées : NON

 11.nous pouvons voir l’ensemble de la situation et comment le changement peut y contribuer positivement : NON

 12.le soutien nous est fourni et nous avons un temps raisonnable pour s’adapter aux changements : OUI

 13.nous ne changeons pas trop de choses en même temps, parce qu’ il faut que le niveau de changement ne soit pas trop grand pour être facilement assimilé : OUI

 14.les changements sont espacés : OUI

 15.nous comprenons les raisons et les objectifs du changement : OUI

 16.nous croyons que le changement est important : OUI

 17.nous croyons que le changement est nécessaire : NON

 18.nous croyons que le moment est propice pour ce changement : NON

 

17:35 Publié dans Déplacements | Lien permanent | Commentaires (2) |

Commentaires

Francis,
Pour alimenter de débat passionnant, je m'inscris en faux avec l'idée que la résistance au changement puisse être une vérité scientifique. C'est une hypothèse, une constatation, un noyau dur... tout ce que tu veux, mais pas une vérité et encore moins une vérité scientifique. D'abord, je me méfie toujours lorsque l'on généralise comme tu le fais. Une vérité peut être valable pour toi. Mais pour ton voisin qui a un autre mode de vie, une autre culture, cela peut être une aberration. Et ensuite, je ne vois pas ce que la science vient faire là dedans. Pour faire un bon mot, la loi d'Ohm ne s'applique pas au changement ! Claude Muller

Écrit par : Claude Muller | 06 août 2013

Merci à Francis de rebondir en prenant de la hauteur ( un peu trop ...) sur cet article de l'ADTC.
La " Taxe Carbone Bis " est de retour et illustre bien la résistance au changement
alors qu'elle décline un processus très simple et souvent déployé au niveau d'un foyer.

On fixe un thème, on lui associe un objectif daté, on cible des économies à faire qui doivent être distributive : on souhaite partir en vacances pour l'été, on prévoit et étale les achats et hop tous à .... La Terrasse.

Les exemples sont légions : réduction des accidents sur la route, à chaque fois que des mesures ont été prises à grand renfort d'informations associée à une amende, la réduction est là.

Les sacs de caisse distribués à gogo ont été brutalement supprimé en proposant une alternative couteuse et le résultats est là et tout le monde s'en accommode.

Je crains que la "Taxe Carbone bis " passe à la moulinette du bi-partisme politique pour être vidée de son sens mais une loi sera promulguée et rangée sur l'étagère avec un nom sur l'étiquette.

Alors que sans loi mais avec du courage, on peut faire d'immenses économies même à l'échelle de la commune ou de la CC.

Le budget de la gestion des déchets sur la CC est chiffrée à environ 16 millions d'euros !!!! alors que les containers chaque lundi ( sue Crolles ) ne sont presque jamais regroupés pour faciliter le travail des ripers ( pas de citoyenneté des habitants ) et surtout containers au 2/3 vide !!!!!!

Economie : le camion passera une fois sur deux après information auprès des citoyens, le temps économisé servira à la formation du personnel pour faire évoluer leur carrière.

Le changement s'est maintenant et tout de suite expliqué avec courage ou alors il viendra tôt ou tard avec force.

JP Chollet

Écrit par : Chollet | 27 août 2013

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