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22 novembre 2012

Une conférence époustouflante

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Lundi 19 novembre 2012, à l’Espace Aragon, le Grésivaudan nous a offert une conférence époustouflante sur l’agriculture au XXIème siècle. Comment nourrir l’humanité ? Comment faire face aux grands problèmes de l’agriculture mondiale ?

Le compte-rendu en version audio et en musique - offert en cadeau par mon fils :   podcast


agriculture,grésivaudan,crollesLe sujet pouvait paraître aride, trop vaste ou insurmontable. Mais l’orateur était conférencier hors pair. Mieux, un acteur, un virtuose de la pédagogie, un génie de l’explication limpide. Pendant plus de deux heures, je restais scotché à mon fauteuil, ébahi, médusé par les compositions powerpoint, estomaqué par la puissance de l’argumentation, pliant de bon cœur sous les formules choc comme emporté par un tsunami intellectuel.

Maintenant, je respire, j’ai repris mon souffle. Je peux analyser à froid cette performance qui aurait toute sa place aussi bien au festival d’Avignon qu’à l’académie des sciences.

Que dire du conférencier ? Qu’il avait un nom prédestiné, Bruno Parmentier. Que ses conclusions (et je ne blague pas) sont proches de celles de Marc  Dufumier, que je vous recommande et dont vous trouverez aisément les interviews, vidéos et ouvrages sur le web.

agriculture,grésivaudan,crollesSon parcours ? Je l’ignore. Mais sa biographie nous donne des indices intéressants. C’est un homme pluriel, ce que j’accueille avec un a priori positif. Ingénieur des Mines et économiste. Editeur puis dirigeant d’une école d’agriculture. Méthodologue (auteur d’un guide pour « Raisonner juste et objectivement en alimentation”) et bateleur, voilà qui n’est pas si fréquent.

Au plan politique, il est inclassable. Il fait son Bayrou en cherchant à réconcilier productivistes et écologistes, il veut garder les frontières comme Dupont Aignant, réguler et freiner le commerce mondial comme Mélanchon, manger français comme Montebourg. Maîtrisant le bon mot et la synthèse, en fidèle disciple du Hollande d’avant, il garde espoir dans les OGM s’ils sont utilisés “à notre manière”, les bons gars de la FNSEA ou de Chasse Pêche Nature et Tradition n’auraient pas dit mieux. Il finira en René Dumont, mort célèbre, sans illusion.

Gimbert nous avait prévenu dans son propos introductif : mieux vaut ne pas avoir d’idées toutes faites.

agriculture,grésivaudan,crollesSur le fond, je résume. Bravo les agriculteurs qui ont fait des progrès gigantesques de rendement et qui nourrissent (presque) l’humanité malgré l’augmentation phénoménale de la population depuis 150 ans. En Europe, la PAC, que l’on devrait nommer Politique d’Alimentation Commune, nous permet de nous nourrir en dessous des prix de revient. La Chine, dont le souvenir des famines a peuplé notre enfance, a fait des progrès absolument colossaux. Hélas, la sous-alimentation reste massive en Inde et en Afrique, et il serait illusoire d’espérer que le Brésil nourrisse le monde.

Les méthodes du XXème siècle s’essouflent, ne marchent plus. La mécanique, la chimie, l’énergie fossile … sont au taquet. Face aux défis du siècle nouveau : la croissance démographique qui se poursuit, le réchauffement climatique et son cortège de sécheresses et d’inondations, l’empoisonnement insidieux par les pesticides (désormais visible du fait de l’allongement de l’espérance de vie), les risques d’épidémie créés par la perte de biodiversité …  il nous faut inventer une autre agriculture.

agriculture,grésivaudan,crollesNi scientiste, ni prophète ou militant, Parmentier n’impose pas de réponse face aux problèmes soulevés. Les lucides retiendront que la fin de la faim n’est pas pour demain. Mais la démarche générale et les leviers d’action sont connus : l’intensification écologique, la suppression des gâchis (zéro déchet, tout est matière première), le changement des pratiques alimentaires occidentales (moins de viande), la protection des frontières et des agricultures vivrières. La technologie d’avenir, ce n’est plus la chimie, c’est l’écologie, les êtres vivants et les écosystèmes qui se nourrissent et se protègent les uns les autres.

Sur la réthorique, où est le truc ? Pourquoi je suis convaincu ? Pourquoi je fais confiance à Parmentier qui vient me vendre son bouquin alors que je suis si méfiant vis-à-vis de tant et tant de paroles entendues dans nos espaces Aragon, Jargot … ou déversées dans les médias ? S’agit-il de manipulation mentale ? Non, je vous l’assure. En voilà les signes.

agriculture,grésivaudan,crollesLe sujet est complexe, mais notre homme prend son temps et son propos est dense. En deux heures et peut-être une vingtaine de graphiques et planches, on peut aligner un nombre respectable d’arguments. Je ne peux pas les vérifier en temps réel, mais l’auteur livre ses sources, son ouvrage Nourrir l’humanité est documenté et beaucoup moins sexy que la conférence, je peux reprendre et compléter la réflexion sur son blog  - http://nourrir-manger.fr.

Le sujet pourrait être touffu, alors Parmentier met du contraste, va à l’essentiel, écarte les détails encombrants, se focalise sur les ordres de grandeur et les mécanismes déterminants, soigne la concision de ses tournures, bannit tout jargon … et l’affaire devient intelligible. Vigilant sur la crédibilité de sa démonstration, il a la coquetterie de signaler l’unique graphique qui pourrait être trompeur via un effet d’échelle que l’auditeur n’aurait pas repéré.

agriculture,grésivaudan,crollesLes sujets susceptibles de fâcher – les OGM, l’aide internationale, l’agriculture bio … ne sont pas esquivés, sans pour autant s’y apesantir, inutile de détourner notre attention ou de brouiller la compréhension par des  débats rabachés sur lesquels les désaccords sont patents.

Malgré certaines excentricités vivifiantes, le conférencier se tient éloigné de tout radicalisme qui serait infondé pour une question aussi complexe, insaisissable, que l’agriculture mondiale. C’est ainsi qu’il peut, après avoir mimé les shoot mortels aux pesticides que nous absorbons repas après repas, afficher un schéma par lequel il affirme que nous avons et aurons encore besoin d’ intrants chimiques.

Il était annoncé un débat, il n’y en eu point. En d’autres circonstances, je m’en serais indigné et aurais écrit une ode à la discussion avortée. Mais ce jour là, il flottait comme un parfum de science citoyenne.

Merci aux organisateurs : le collectif des Associations de Solidarité Internationale du Grésivaudan, la commission agriculture de la Communauté de Communes. www.lasemaine.org 

 

* * Buffet * *

Bibliographie de référence

Marc Dufumier, « Famine au Sud, Malbouffe au Nord, Comment le bio peut nous sauver », Nil, 2012.

Ignace Pittet, « Paysan dans la tourmente. Pour une économie solidaire", l'Harmattan, 2003.

Bruno Parmentier, « Nourrir l’humanité », La Découverte, 2007 – 2009.

Marie Monique Robin, « Les moissons du futur, Comment l’agroécologie peut nourrir le monde », La Découverte, 2012.

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La conférence se poursuit sur le Réseau Citoyen du Grésivaudan.

Ignace Pittet : Paysan du Grésivaudan et auteur d'un livre sur mon expérience agricole et l'économie ("Paysan dans la tourmente. Pour une économie solidaire", l'Harmattan 2003), je puis dire, sans avoir lu leurs ouvrages, que je pencherais plutôt pour Marc Dufumier, un autre nom prédestiné à mon avis également (sans être pour le retour au seul fumier comme au temps de mon grand-père, car on a découvert d'autre méthodes écologiques que je suis en train d'expérimenter par moi-même).

Je dirais, personnellement, que l'on ne peut faire coexister à la fois l'agriculture industrielle et ses grands promoteurs comme Monsanto, Sygenta et bien d'autres tenants de la chimie et des manipulations génétiques dont on ne perçoit pas toutes les conséquences et une agriculture écologique. Il s'agit plus largement d'un problème de société. Je suis partisan (et promoteur aussi, avec planches et vidéo-projection!) d'un autre modèle de société qui prenne en compte la dimension solidaire et la dimension écologique toutes deux nécessaires au salut du monde moderne.

A la suite de Ivan Illich, le penseur visionnaire d'une ère postindustrielle, je pense qu'on ne peut se satisfaire, au point de vue politique, d'un moyen terme entre le capitalisme et le communisme, comme le socialisme libéral ou les partis centristes. Il s'agit de développer un mouvement qui prenne en compte les valeurs supérieures pour promouvoir une qualité de vie pour tous par l'établissement d'une plus grande égalité...Un changement radical est à faire de toute urgence !

 
Question de Claude Muller : quelle conclusion tires-tu de cette conférence pour la plaine agricole de Crolles ?

Rien. Parmentier dresse un panorama mondial qui me nourrit intellectuellement et psychologiquement (motivation, espoir). Mais il n’y a pas de transposition directe à faire au niveau local. Pour agir, il faut être en situation, donc partir du local. 

Quels sont les problèmes et les besoins, ici ? L’emploi d’abord. J’aurais aimé que Gimbert parlât d’emploi. Voyons l’agriculture comme un vivier d’emplois.  Et là, Parmentier propose une orientation : l’intensification écologique (je vais en reparler dans une minute). Au plan administratif, pour favoriser l’évolution des mentalités, on pourrait commencer par fusionner le service « emploi » et le service « agriculture » de la communauté de communes et les organiser par filière. Le chargé de mission de la filière « micro électronique » aurait aussi comme job de travailler sur l’usage des nouvelles technologies pour l’agriculture.

agriculture,grésivaudan,crollesRéconcilier les agriculteurs et les écologistes. Parmentier l’a dit : les écologistes ont eu raison. Mais, dommage, il n’est pas allé jusqu’à dire merci les écologistes. On pourrait aussi dire : merci les promoteurs du bio qui ont sonné l’alarme et montré une voie nouvelle. Maintenant, il faudrait prendre du recul avec les positions radicales, privilégier la réduction des pesticides et des engrais, et les agriculteurs et les écolos travailleront mieux ensemble.

Arrêter la disparition de terres agricoles. Moratoire sur les zones industrielles et commerciales (les friches urbaines sont disponibles pour continuer à construire). Reclassement en zone agricole de certaines zones « à urbaniser ». Abandon des projets obsolètes et mobilisateurs de foncier (déviation, digue pare-blocs …). Reprendre le SCOT dans ses versions initiales, avant les compromis et arbitrages politiques parfois contraires aux intentions affichées.

L’intensification écologique serait bienvenue aussi bien dans la plaine (replanter des arbres au milieu des champs, éviter les parcelles mono-maïs …) que sur les côteaux et en moyenne montagne où nous pourrions cultiver sous les bois parsemés de clairières, développer l’élevage sur des versants ré-ouverts et où la biodiversité pourrait à nouveau s’épanouir.

Généraliser le compost pour réduire le gachis. Les choses avancent – cf les actions menées par la direction des déchets. Mais on pourrait aller plus vite, plus fort – cf le tri sélectif qui n’est toujours pas en place au marché de Crolles.

Francis Odier, 20 – 22 novembre 2012

 

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