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04 juillet 2012

La déchetterie qui avait la rage

Crolles, 2 Juillet 2012 – En réunion publique, la municipalité explique la nécessité du déplacement de la déchetterie. Voyons les arguments avancés, les procédés rhétoriques et les alternatives.

Le texte complet : La déchetterie qui avait la rage.pdf

« La déchetterie est ancienne, elle a été construite en 1975 ». C’est une information qui ne dit rien sur l’adéquation des services rendus aux besoins. Mais il s’agit d’une mise en condition psychologique, un équipement ancien étant réputé de moindre performance qu’un équipement moderne. Le terme vétusté, utilisé par exemple dans la délibération du Grésivaudan du 30 janvier 2012, est connoté très négativement. Personnellement, comme des centaines de crollois, je connais la déchetterie par sa plateforme et ses quais de déchargement et, avant de m’intéresser à ce dossier, je n’avais jamais remarqué cette vétusté. A vrai dire, après une réunion publique sur le sujet et la lecture des délibérations votées par nos assemblées communales et intercommunales, je n’ai toujours pas compris en quoi la déchetterie serait vétuste.

« La déchetterie n’est pas aux normes ». C’est un excellent argument de type technocratique qui devrait être évité dans un débat public. Le citoyen est prié, d’emblée, de faire confiance au fonctionnaire-sachant. La normalisation est un travail de professionnels pour des professionnels. La référence aux normes place la discussion sur un terrain inaccessible au profane. En fait, l’examen de la conformité à la normalisation ou à une réglementation[i] quelconque est un problème de même nature que la conformité au droit : pour conclure de manière juste, il faut un arbitre au-dessus des parties (juge ou président, peu importe le terme, j’insiste sur la fonction), un débat contradictoire mené par des spécialistes, un dossier de référence écrit et accessible aux deux parties[ii].

Chacun conviendra que le maire actuel, qui travaille depuis plusieurs années sur l’aménagement et l’agrandissement de la zone commerciale, n’est pas en situation d’animer un débat sincère et sérieux sur l’opportunité du déplacement de la déchetterie.

La municipalité n’a pas cherché, ne serait-ce qu’un quart de seconde, à organiser la concertation de manière à permettre aux citoyens d’apprécier par eux-mêmes la conformité réglementaire - ou non - de la déchetterie et d’en tirer leurs propres conclusions.

« La déchetterie n’est pas sécuritaire, ni pour les usagers, ni pour les travailleurs ». L’argument de la sécurité est très tendance … Personne n’ose s’opposer à un projet mené au nom de la sécurité[iii]. Mais nous retrouvons ici un argument non démocratique car non réfutable dans les conditions de la discussion publique[iv]. La santé au travail est mon métier. Je fais l’hypothèse qu’en étudiant le dossier, avec un collègue ergonome, je pourrais apporter un avis éclairé à la population sur les conditions de sécurité dans la déchetterie et les mesures d’amélioration disponibles indépendamment de tout déménagement. 

logo amiante danger.jpg« En particulier, les règles Hygiène et Sécurité pour l’amiante ne sont pas respectées (…) Il faudrait isoler les flux (…) ce n’est pas possible ». J’ai cru m’en étrangler. Décidément, nous aurons tout vu.

Selon l’INRS, « les maladies liées à l’amiante représentent aujourd’hui la deuxième cause de maladies professionnelles et la première cause de décès liés au travail (hors accidents du travail). La prévention de ce cancérogène demeure une des priorités de la santé au travail ». L’employeur a l’obligation d’assurer la sécurité et de protéger la santé des travailleurs (Code du travail : articles L4121-1 et L4121-2).

L’obligation du président de la communauté de communes, en tant qu’employeur, est de garantir la prévention du risque amiante, conformément à la réglementation en vigueur. Il est absolument scandaleux d’utiliser une non-conformité amiante comme argument pour le déménagement du site car, entre les lignes, cela veut dire que l’employeur accepte d’exposer les salariés à l’amiante[v].

Par ailleurs, si les règles institutionnelles ont du sens, engager une procédure de révision du PLU ne donne aucune garantie sur la date d’aboutissement de l’opération de déménagement. En conséquence, s’il y a une seule urgence, c’est bien d’améliorer la situation existante sans attendre un éventuel déménagement.

« On ne peut pas rénover sans déménager, car il faudrait une solution transitoire qui n’existe pas ». Effectivement, durant des travaux de rénovation, il faut aménager temporairement l’activité. Ce type de problème se pose régulièrement à tout particulier, à toute entreprise ou administration qui rénove ses locaux et / infrastructures. Il est difficile d’accepter a priori l’idée que rénovation implique délocalisation ! D’ailleurs, lors de la réunion publique du 2 juillet, en moins d’une heure, plusieurs participants ont proposé des dispositions transitoires utilisant des terrains disponibles à proximité, en particulier l’ancienne aire (désormais fermée) d’accueil des gens du voyage.

Lors de la séance du 30 janvier 2012, le président du Grésivaudan « précise que, compte tenu du contexte réglementaire (modification du PLU notamment), cette opération ne pourra se faire qu’en 2013 et que, dans l’attente, il conviendra de réaménager provisoirement la plateforme existante selon des modalités qui seront proposées au vote du BP 2012 ». Affaire à suivre – le réaménagement provisoire permettra peut-être de montrer la faisabilité de la rénovation sur place !

« On ne peut pas déménager ailleurs que sur le terrain identifié pour le projet ». Rebelote, voici l’argument définitif « il n’y a pas d’autre solution ». Cette affirmation est recevable lorsque les processus d’étude et de décision sont sous contrôle qualité, avec des méthodes formalisées garantissant la traçabilité des données produites et des étapes intermédiaires. Nous en sommes loin. 

Un moment de détente – pour vous inciter à venir aux réunions publiques : durant la discussion sur les emplacements alternatifs et les solutions transitoires envisageables, le maire explique que la commune ne peut pas faire ce qu’elle veut et exproprier facilement les propriétaires des terrains qu’elle convoite. C’est alors qu’il prononce cette phrase magnifique : « On ne peut pas être dans l’abus de pouvoir en permanence ».

« La déchetterie est saturée, victime de son succès ». D’accord. Il faut donc agir à la source pour réduire les volumes de déchets collectés. Les déchets verts représentent près de la moitié des tonnages collectés. Comme cela a été proposé lors de la commission cadre de vie de mars 2012 : « Il serait intéressant d’étudier la possibilité de location de petits broyeurs pour permettre aux gens de broyer directement chez eux et développer ainsi le recyclage. Pour le broyage à domicile, il faudrait que cela soit gratuit pour diminuer le stockage ». Hélas, la commission cadre de vie n’a pas été entendue sur ce point : le scénario « réduction à la source pour dé-saturer la déchetterie » n’a pas vraiment été étudié. D’ailleurs, la commission cadre de vie a été réunie après que la décision du déménagement soit prise par la commune et / ou la communauté de communes.

Autre piste disponible pour répondre à la saturation : élargir les horaires d’ouverture, actuellement très restreints (8 h 30 / 17 h 45), en passant à 8 h / 20 h en période d’heure d’été (mars / octobre), ce qui correspond au gros de la collecte des déchets verts et des gravats (il y a moins de chantier en plein hiver). Un tel élargissement horaire serait créateur d’emploi (dans tous les cas, une déchetterie rénovée, agrandie, avec plus de fonctionnalités, demandera plus d’emplois) et pourrait être fait en quelques mois, après concertation avec les salariés et leurs représentants.

Enfin, rien n’interdit d’ouvrir des petites déchetteries dans les communes voisines, en particulier à Froges ou Villard-Bonnot, ce qui limiterait les trajets vers la déchetterie de Crolles. Là encore, selon le maire, ce n’est pas possible, il n’y a rien de disponible, mais je ne suis pas le seul à rester dubitatif face à une telle affirmation aussi contraire au bon sens de l’observateur qui circule ingénument dans la vallée.

En conclusion, qui veut tuer son chien dit qu’il a la rage.  Nul besoin d’être grand technicien du traitement des déchets pour comprendre que la municipalité a d’abord décidé le déménagement, puis a construit le dossier pour emballer cette décision.

Il n’y a pas mort d’homme. Il y a juste un gâchis économique, foncier et environnemental, des riverains en colère aujourd’hui et peut-être pleins d’amertume et de rancœur demain, des pratiques politiques privilégiant la manœuvre des élus et de la population, un terreau fertile pour les contentieux de toute nature, le renoncement à l’exercice serein de la pensée au service de l’intérêt général.  

Francis Odier, 3 juillet 2012



[i]A propos de la conformité réglementaire : Prendre garde à ne pas tout mettre dans le même sac. Certaines normes ont valeur réglementaire, d’autres sont des références non obligatoires … et l’application d’un règlement donne toujours lieu à interprétation.

[ii] Je suis très sensibilisé à ces questions de normalisation que je rencontre régulièrement dans mes activités professionnelles. J’ai par exemple vu plusieurs fois un plan social argumenté par une non-conformité réglementaire ou normative. A l’analyse, il s’avère souvent que la contrainte réglementaire ou normative est un alibi pour habiller une décision prise pour d’autres motifs. Un exemple de notoriété publique est La Samaritaine fermée en juin 2005 en raison de manque de sécurité des bâtiments et de risque d’incendie. En réalité, le groupe LVMH, propriétaire des locaux, a utilisé cette fermeture pour réorienter l’usage des locaux en aménageant une galerie marchande, des bureaux, des logements et un hôtel.

Il y a quelques années, j’ai travaillé sur une usine agro-alimentaire, fermée officiellement pour vétusté, en réalité pour rapatrier la production sur une autre usine du groupe.

[iii] J’en sais quelque chose avec la digue du Fragnès où l’argument Sécurité est mis en avant comme un bouclier sacré.

[iv] Clairement, je fais une transposition dans le champ de la démocratie du paradigme poppérien disant qu’est scientifique ce qui peut être réfuté. Une hypothèse de base de la démocratie est que les citoyens sont compétents pour discuter et décider de la chose publique. Dès lors, il y a une forme d’abus d’autorité pour une autorité publique à présenter comme indiscutable ce qui est en fait une opinion ou une décision de principe.

[v] Serions-nous face à un effet du cumul des mandats ? Le maire de Crolles veut déménager la déchetterie et les non conformités appuient ce projet. Alors, l’employeur ne fait pas beaucoup d’effort pour supprimer les non conformités. Cette situation va cesser très prochainement avec le remplacement du président du Grésivaudan. Espérons que le nouveau président aura à cœur de montrer son indépendance vis-à-vis de la commune de Crolles et d’exercer son devoir d’inventaire vis-à-vis de son prédécesseur.

 

Commentaires

La déchetterie de Crolles telle qu'elle est aujourd'hui, est ce que la commune a de mieux.
Je pense sans aucun doute qu'une grande majorité de Crollois partage cette opinion.
Vu son taux de fréquentation sans cesse croissant, l'idée même de projet de déménagement, cache probablement une histoire d’intérêt financiers (comme d'habitude).
MARRE vous entendez, MARRE de ces montages financiers obscures. Avez-vous pensé vos citoyens qui entretiennent leurs propriétés à grand peine, et qui vont devoir prendre leurs voitures pour faire je ne sais combien de Km pour déposer leurs déchets ? (très écolo.)
Car s'il est envisagé de déménager notre déchetterie, la commune se garde bien de nous dire où.....Quant aux sois-distantes normes de sécurité ON N'EN PEUT PLUS DE CE GENRE D'ARGUMENT. Sûr que d'évacuer "sa merde" est affaire d'hommes responsables qui se doivent d'assumer leurs responsabilités.

Écrit par : Gilbert Excoffon | 23 mars 2014

le déplacement de la déchetterie, tel qu'il est annoncé par la communauté de communes, n'est pas prévu à des kilomètres de là où elle est actuellement mais seulement à une centaine de mètres de son emplacement, sur la route de la piscine...
la question est : pourquoi la déplacer en détruisant des espaces naturels au lieu de la rénover là où elle est ....?

Écrit par : Emmanuel Wormser | 24 mars 2014

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