Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

19 juin 2012

L'excès de pouvoirS rend-il incompétent ?

Compétent / incompétent ?

Les missions de service public ont été distribuées à chaque niveau de collectivité locale ou de l’État. C'est la loi qui dit ce que chacun doit assumer, avec le budget dont il a la charge : ce sont ses « compétences ».

Un exemple concret, universel et bien stratifié, celui de l'enseignement : l'école élémentaire relève de la commune, le collège du conseil général, le lycée du conseil régional, l'université de l’État. On dit alors que les lycées sont une « compétence » des Conseils régionaux, et qu'ils sont « incompétents », qu'ils n'ont pas à interférer, pour ce qui relève de la gestion des écoles élémentaires.

Le partage des compétences va plus loin puisque le législateur a pris soin de préciser ce qui relève, par exemple, des compétences d'un conseil municipal et ce que le maire peut décider seul au nom de la commune.

Un lien entre cumul des mandats et incompétences ?

Après cette petite explication sémantique, on est en droit de penser que le cumul des mandats constitue un parfait cadre à l'incompétence. En effet, qui dit cumul des mandats dit cumul des compétences... susceptible d'entraîner confusion des compétences.

En clair, on parle ici d'une situation qui pourrait amener un élu à prendre des décisions à la place d'un autre. Même si cet « autre » est la même personne (qui cumule, donc), même si les décisions prises se veulent aller dans le sens d'un interêt général, … reste qu'il n'est pas dans son bon droit.

Impossible ? Jamais vu ? Pas si sûr...

Voyez vous-même ici : (clic sur lire la suite)


Le lecteur novice en droit sera certainement surpris par le titre de l'article : c'est en fait un calembour propre à faire sourire tout juriste ; je veux croire qu'il partagera ce trait d'humour après les explications qui vont suivre !


En droit, un concept juridique précis

La loi donne à chacun un certain nombre de pouvoirs de décision. Concernant les élus et les administrations, elle précise ce qu'un maire, un député, un ministre, un président peut faire dans le cadre de ses fonctions propres : on parle de compétence juridique, a priori sans lien avec la compétence technique d'ailleurs. Lorsqu'un décideur agit en dehors du périmètre qui lui a été ainsi accordé, on dit que cette décision a été prise par une personne incompétente et qu'elle est irrégulière à ce titre ; il y a alors "incompétence de l'auteur de l'acte".

Quand un acte administratif est irrégulier -parce que la procédure préalable à la décision est irrégulière ou parce qu'il contrevient à un règlement supérieur-, il est susceptible d'être annulé pour "excès de pouvoir" puisque son auteur a "excédé" -dépassé- des pouvoirs que lui confie la loi -ou les règlements ou ... la constitution !- lorsqu'il a pris sa décision.

Pour un juriste, l'excès de pouvoir peut donc trouver sa source dans l'incompétence de l'auteur d'un acte administratif.


En langage courant, un comportement individuel facile à illustrer

Dans le langage courant en revanche, l'"excès de pouvoir" vise une situation où trop de pouvoir est réuni sous une même casquette... et on parle d'"excès de pouvoirS" lorsqu'un individu porte trop de casquettes : celui qui cumule des mandats et adopte un comportement autocratique est évidemment au centre de ces deux critiques régulièrement entendues sur certains dirigeants.

L'incompétence quant à elle est toujours perçue comme une incapacité technique à répondre correctement aux problèmes posés.

Dans le monde de l'entreprise, on a coutume de réunir incompétence et excès de pouvoir(S) dans l'application du principe de Peter.

Les élus sont-ils à l'abri de tels comportements ? Non, assurément !


Un précédent célèbre

Rien ne vaut, apprend-on à nos chères têtes blondes, la force de l'exemple : en voici un caricatural...

Le 4 décembre 2008, dans un discours engageant la relance de l'économie française, un précédent Président de la République avait ainsi affirmé sans frémir

"Les permis de construire seront prorogés pour un an à compter du 4 décembre".

Quelques jours plus tard, son Premier Ministre confirmait cette disposition dans une allocution aux préfets :

"Les permis de construire sont prorogés d'un an pour permettre de donner une nouvelle chance aux opérations qui n'ont pu se réaliser. Je signale tout de suite que cette prorogation prend effet à la date du discours du Président de la République le 4 décembre dernier."

Un simple discours présentant un projet politique modifiait ainsi les termes d'une règle qui ne peut être mise en oeuvre que dans le cadre d'un décret pris en Conseil des ministres...

L'excès de pouvoir d'un président -dont l'histoire seule dira valablement dans quelle mesure son mandat aura été autocratique- l'amenait ainsi à dépasser les pouvoirs que lui conférait la Constitution en privant les ministres de leurs compétences propres : la décision, entachée de l'incompétence de son auteur, était irrégulière et constituait un excès de pouvoir. La confirmation ministérielle de ses effets avait suffi pour qu'on s'"autorise à penser dans les milieux autorisés" -merci Coluche- que, sur ce point en tous cas, nos dirigeants étaient techniquement incompétents en commettant de telles bourdes...

C'est finalement un décret du 19 décembre 2008, publié le 20 et qui avait permis à cette mesure de connaitre une existence ... réelle à partir du 21 décembre, soit 17 jours plus tard !


Rencontre-t-on de tels comportements dans le microcosme crollois ?

Force est constater, malheureusement, que ... oui !

Dans les investigations déjà menées pour LeCrollois, trois dossiers suffisent à illustrer des incompétences flagrantes : du premier, nous avons déjà parlé et les deux autres feront l'objet de chroniques à venir car leur intérêt est multiple.

Dans un dossier déjà pointé du doigt pour des questions -non résolues- de pollution des sols, le maire de Crolles a autorisé le 26 mars 2012, par arrêté affiché le 27, l'ouverture des magasins Gifi et Besson à compter du 28 mars. Cette ... précipitation est d'autant plus regrettable que le maire de Crolles n'avait pas compétence pour prendre cette décision avant que la sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public et les immeubles de grande hauteur ne se soit réunie -comme l'indiquent d'ailleurs les arrêtés mentionnés ! Dans l'urgence la plus totale, l'adjoint à l'urbanisme donnait ensuite un avis favorable à ce projet alors qu'il ne ressort pas de la liste de ses compétences qu'il peut le faire -cet avis relève de la police de la construction, pas de celle de l'urbanisme-, et la commission ad hoc se réunissait le 12 avril pour permettre au maire de régulariser la situation par deux nouveaux arrêtés du 13 avril (Gifi2 et Besson2). Deux incompétences successives dans ce dossier donc !


Autre exemple caricatural sur lequel nous reviendrons dans un article dédié, l'aire d'accueil des gens du voyage prévue à Crolles... Les travaux d'aménagement de cet équipement réalisé sur la commune par la Communauté Le Grésivaudan, nécessitent trois autorisations spécifiques : la première relève du Code de l'urbanisme et prend la forme d'une déclaration préalable ; la seconde est imposée par le Code de l'environnement et prend la forme d'une déclaration au titre de la Loi sur l'eau ; la troisième, portant autorisation de défrichement, est prévue par le Code forestier. Toutes doivent être formellement demandées par une personne ayant compétence pour le faire, évidemment. Ni le maire de Crolles, qui a instruit la première, ni les services de l'Etat qui ont instruit les deux autres, ni le président de la communauté de communes qui a signé ces demandes ne l'ignoraient ; c'est d'autant plus évident que les services de l'Etat ont demandé au Conseil syndical de la Communauté le Grésivaudan de délibérer pour autoriser son président à faire ces demandes ; le texte de la délibération prise est clair à ce sujet : "à la demande de la Direction Départementale des Territoires, le conseil communautaire, après en avoir délibéré et à l'unanimité des membres présents ou représentés autorise Monsieur le Président à déposer un dossier de demande d'autorisation de défrichement (d'une surface égale 65a et 56 ca) et un dossier de déclaration au titre de la loi sur l'eau". Pour la demande d'urbanisme, c'est l'article R. 423-1 qui s'applique. Et pourtant, et pourtant...

  • la demande d'urbanisme est datée du 7 février 2012 et, complétée le 6 mars, a été accordée le lendemain,
  • celle de défrichement a été déposée le 26 janvier 2012 et complétée le 7 mars,
  • celle relative à l'eau a été déposée le 1° février, complétée le 19 mars 2012 et accordée le 20 mars...

alors que la délibération communautaire n'a été votée que le 26 mars 2012. Ces trois demandes ont donc été déposées par une personne incompétente juridiquement pour les formuler et accordées avant même qu'elle le devienne, seulement en partie !


Le troisième dossier a été tranché par le juge administratif : dans un arrêt du début de l'année (CAA de Lyon, 02/02/2012, 11LY01279), le juge administratif a annulé tout un ensemble de décisions relatives à l'enfouissement des réseaux électriques et téléphoniques avenue de la Résistance à Crolles, notamment parce que le maire de la commune avait oublié que cette voie... était départementale : "il est constant que l'avenue de la Résistance constitue une voie départementale ; que si le maire était compétent en vertu des articles L. 115-1 et suivants du code de la voirie routière, pour assurer la coordination des travaux sur cette voie, à l'intérieur de l'agglomération, seul le président du conseil général de l'Isère, en vertu des dispositions de l'article L. 131-3 du code de la voirie routière ou le conseil général, en vertu des dispositions de l'article L. 131-7 du même code, étaient compétents, pour prescrire des mesures relatives aux travaux affectant le sol et le sous- sol de cette voie ; qu'il s'ensuit, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, que l'arrêté du maire de Crolles est entaché d'incompétence en tant qu'il concerne les mesures prévues par ses articles 2 et 3 ; que, par suite, la COMMUNE DE CROLLES n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a annulé les articles 2 et 3 de l'arrêté du 21 décembre 2006" !


Crolles est bien en France

"On" souffre donc ici des mêmes maux que ceux que l'"on" reprochait à un candidat récemment éconduit de la fonction présidentielle. L'accumulation des mandats et des responsabilités dans une seule main -commune, communauté de communes, circonscription, groupe à l'assemblée- n'est sans doute pas la seule origine de cette confusion totale des rôles et des compétences juridiques. Elle amène cependant à s'interroger sur une phrase relevée en deuxième page du magnifique "Journal de campagne" distribué récemment dans nos boites à lettres :

"Nous avons pris la mesure (...) de la colère que suscitent les élites quand elles oublient l’éthique ou les lois."

Alors si, comme le souligne la présidente de son comité de soutien, "Il court, il court", peut-être devrait-"on" aussi s'interroger localement sur l'effet individuel de la faveur donnée par le nouveau Président de la République à l'engagement à l’intégrité des élus et au respect des contre-pouvoirs, sans attendre la publication d'une loi sur le non-cumul des mandats... pour éviter qu'un excès de pouvoirs ne dévoile un excès d'incompétence.


Emmanuel Wormser

Les commentaires sont fermés.